De la voie royale du leadership au sentier sinueux de la quête de soi.
Depuis des années, la littérature produite par le monde du consulting, des Executive MBA et enfin des universités abonde pour cerner le concept de leadership. Les réseaux professionnels et sociaux partagent largement ce concept et ses dérivés. Le leadership est global, omniprésent.
Les leaders sont étudiés et catalogués « democratic, transformational, strategic, visionary… ». Ils sont aussi évalués comme tout un chacun, de l’assistant médical à la contrôleuse de gestion, en passant par la chirurgienne et le chercheur en sociologie, sous l’angle de la performance, courbe de Gauss oblige : sous-performant, performant, sur-performant.
L’ascension sans oxygène
On éduque très tôt les jeunes au leadership. À la sortie des grandes écoles et des universités, les premiers pas en entreprise vont permettre d’identifier les leaders du futur. Ils sont performants, intelligents, travailleurs, tenaces et fidèles. Ce sont des winners. Ils grimpent la pyramide de la hiérarchie puis s’approchent du pouvoir. Comme chez les athlètes, l’entrainement s’intensifie. Le must est de suivre un Executive MBA. Le Graal. Ils deviennent alors labellisés AOC en Leadership. Les autres, eux, travaillent pour conserver leur position ou pour grimper un peu, mais pas trop. On sait qu’on peut tomber. Une question de gravité. Ils observent de loin les ascensions.
Les portes du marché de la ressource humaine s’ouvrent ainsi aux leaders. À l’exemple du Mercato dans le monde du football, on fixe leur valeur marchande comme celle du pétrole, du cuivre ou encore d’une option financière. Le premier prix de transaction est établi. Pour les leaders, c’est flatteur. Ils peuvent finalement quantifier leur prix en fonction de la loi de l’offre et de la demande.
Pour les plus reconnus, le prix ne fait qu’augmenter. Plus ils progressent, plus ils deviennent celles et ceux qui peuvent maximiser la rentabilité des entreprises en répondant aux exigences des ac- tionnaires. Ils deviennent alors celui qui sait, celui que l’on suit. Le Chef.
Le quotidien du chef est rempli de mots qui stimulent son cerveau jour et nuit, sans relâche : vision, stratégie, exigences, performance, ROI, concurrence, objectifs, agir, décider, bien communiquer, innover, efficience, teamwork, network, business plan, assemblée générale, présentations, délé- guer, corriger, conseil d’administration, rester factuel.
Et puis, et puis, il y aurait tellement d’autres choses à penser, mais il n’a plus le temps. Le temps passe. Et parfois, il s’arrête soudainement.
Temps perdu, temps retrouvé
Seul derrière ses écrans et son smartphone sécurisés, dans sa chambre avec ses écouteurs, après une longue journée sans une minute pour souffler en home office, ou seul dans son bureau un vendredi soir après des semaines intenses, le temps s’arrête. Ce n’était pas prévu !
Lui qui maîtrise toujours son temps et celui des autres. Silence. Seul. Comme souvent, seul. Il ne sait plus pourquoi il se trouve là, à cet instant-là. Il inspire, il expire. Là, tout perd de son sens.
Dans sa course au pouvoir, il a toujours tant travaillé et a été là pour ses employés et actionnaires. Et pourtant quelque chose ne fonctionne plus en lui. Un vide s’est creusé qui lui donne le vertige. Il réalise que ce vide est fait d’une absence, celle du sens qu’il a donné à sa vie. Il saisit qu’il est essentiel de le trouver. C’est vital. Non pas celui du jeune leader d’hier ou du Chef d’aujourd’hui, mais de lui, comme personne qui vit dans un monde beaucoup plus riche fait de plus d’humains que de ressources.
Renouer avec ses aspirations profondes
Il se rappelle soudainement qu’une de ses anciennes directrices, en donnant sa démission, lui avait glissé un message de son écriture si appliquée. Il l’avait remerciée pour la forme. Cause toujours. Il retrouve le message, juste en-dessous d’une pile de dossiers RH à classer : « C’est le sentiment que la vie a un sens plus vaste que la simple existence individuelle qui permet à l’humain de s’élever au-dessus du mécanisme qui le réduit à gagner et à dépenser. signé : Carl Jung. »
Il respire profondément et, même si c’est dangereux, il est temps pour lui de rêver en plein jour car il sait qu’il peut rendre possible ses rêves. Hésitant entre le clavier de son ordinateur portable, sa tablette ou encore le dictaphone de son smartphone, il se décide pour un papier, un crayon et une gomme.
Alessandro Lanci – HumanReConnect